Béland, Véronique

Résidence C.L.A.S de mars à avril 2020

Née en 1981 à Québec (Canada), Véronique Béland vit en France depuis dix ans. Plasticienne, son travail a été présenté lors d’expositions au Canada, aux Etats-Unis et en Europe. Autrice, elle est publiée depuis 2014.
En résidence, elle travaillera à un projet de fiction sur le refus de la mort et l’usage de la fiction comme tentative de survie – une histoire avec beaucoup de fantômes dedans.

Parutions : 

Malgré les collines – égarements cartographiques dont vous êtes le héros, 2017, éd. sun|sun
Le vide de la distance n’est nulle part ailleurs, 2016, éd. sun|sun
Elles collectionnent des mondes, 2014, éd. du Renard

Site de l'autrice

 Dans le grand cercle vicieux du monde, quand on craignait d’avoir passé sa vie à tourner en rond, en orbite autour de l’abîme, il suffisait de prendre un peu de recul pour comprendre que ces révolutions formaient des spirales et qu’à force, on avait fini par élargir les limites de sa conscience. S’il en va de même pour chacun, on serait tenté de croire qu’il s’agit de la raison pour laquelle l’Univers invariablement, demeure en expansion.

Malgré les collines, sun|sun éditeur, 2017

Témoignage de l'autrice sur sa résidence confinée

Lorsque je regarde la Loire...

La lumière froide du matin souffle patiemment les bouquets de brouillard qui tiennent en équilibre au-dessus de la Loire. L’île Batailleuse se déploie, incertaine, de l’autre côté de la rive ; les arbres s’y dressent comme une masse indifférente tandis que le paysage revient à la vie sans s’en apercevoir. Lentement, l’équinoxe façonne l’aura vert tendre des premiers bourgeons du printemps et la journée s’étire au fur et à mesure que le soleil glisse le long de l’écliptique.

Par la fenêtre, l’horizon semble posséder les dimensions du temps ; il porte en lui un hors champ qui parle une langue inconnue, que seuls les oiseaux paraissent avoir apprise par cœur. Le reste n’est que silence extraordinaire, comme si la réalité s’arrêtait chaque matin juste un pas avant les choses. Mais ce qui se passe au cœur de l’imperceptible continue malgré tout à agir, pendant que les secondes segmentent infatigablement cette durée immuable.

 

Ainsi, la parenthèse du jour se referme. Tels des feux trompeurs, les derniers rayons de lumière finissent par traverser l’étendue où s’étale progressivement la pénombre. Ils effleurent la surface de l’eau en prenant des airs de flammes humides, si bien que l’impact de leurs ondes teinte l’écorce des arbres d’un vermillon qui ne peut exister normalement que derrière les paupières. Le monde revêt alors de nouvelles perspectives, faisant résonner l’écho d’un été indien déjà révolu ou encore à venir, comme si le cycle complet des saisons pouvait se jouer en à peine quelques heures.

Puis, la chronologie achève de se disloquer. Le paysage s’effrite jusqu’à sa perte, l’horizon s’estompe et le ciel redevient pour un moment l’espace, le temps que les étoiles percent à nouveau l’immensité de son hémisphère. Aujourd’hui, l’amplitude de la nuit sera parfaitement égale à celle du jour – deux instants miroirs qui s’effaceront plus tard au creux de l’éternité.

– Véronique Béland, mars 2020