François-Henri Désérable

Résidence (C.L.A.S) de mars à avril 2021

© F.Mantovani

Né en 1987 à Amiens, François-Henri Désérable devient joueur de hockey professionnel à dix-huit ans et commence à écrire. Son premier livre, Tu montreras ma tête au peuple, paraît en 2013 et remporte plusieurs prix, dont celui de la Vocation.
Durant sa résidence, il écrira la vie d’un empereur oublié, dont la mémoire maudite fut effacée.

En 2021, il remporte le Grand prix du Roman de l’Académie Française pour Mon maître et mon vainqueur.

Parutions : 

L’Usure d’un monde – une traversée de l’Iran, éd. Gallimard, coll. « Blanche », mai 2023.

Mon maître et mon vainqueur, éd. Gallimard. coll. « Blanche », août 2021.

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«Mais s’il y était entré, à l’École polytechnique ? S’il avait réussi ce foutu concours ? Si au lieu de lancer le chiffon à la gueule de Dinet, il avait fermé la sienne, effacé le tableau, répondu à la question ? On l’aurait admis, c’est certain. Et puis ? Il serait mort en Juillet, sans avoir eu le temps de rédiger le mémoire qu’il va bientôt rédiger. Ou plus tard, sur d’autres barricades, en 32, « par une journée mêlée de pluie et de soleil ». Peut-être aussi qu’il aurait vécu jusqu’à la Commune de Paris, et alors il aurait pris une balle en plein cœur. Ou il se serait assagi, serait devenu professeur de mathématiques, ventripotent et décati, docte, doctoral, ne se masturbant qu’en esprit sur des notes de bas de page, des lemmes, des théorèmes. Ou alors, délaissant les mathématiques, il serait parti au Choa, à dos de chameau vendre des armes à quelque ascendant de Ménélik. A moins qu’il ne se fût embourgeoisé, ce fils de bourgeois, épousant une fille de bourgeois et devenant à son tour père de bourgeois qui héritent plus qu’ils ne méritent, se laissent porter par la vie du berceau à la tombe. Il vaut mieux mourir à vingt ans.

Évariste, Édition Gallimard, 2015

François-Henri Désérable vous parle de sa résidence confinée

Lettre à la Loire

À la Maison Julien-Gracq où j’étais venu pour écrire, je passais mes journées à lire et, le soir venu, j’allais me promener, l’esprit léger mais le cœur lourd, sur les berges de la Loire. En ouverture des Eaux étroites, Gracq évoque le plaisir de l’excursion « sans aventure et sans imprévu qui nous ramène en quelques heures à notre point d’attache, à la clôture de la maison familière ». C’était cela, c’était même exactement cela : toujours le même point de départ, le même itinéraire, le même point d’arrivée – et toujours le même envoûtement. L’hiver était encore là, mais l’hiver était doux, comme un post-scriptum de l’automne. Je sortais de la maison par la rue du Grenier à Sel, longeais jusqu’au pont le quai de la Loire, laissais dans mon dos « la belle voilure frissonnante des peupliers » de l’île Batailleuse, et remontais la Grande Rue jusqu’à l’église abbatiale, qui depuis son promontoire domine le village et le fleuve. De là, à travers les fougères serpente un sentier qui descend vers un ancien chemin de halage, long de cinq kilomètres, rebaptisé promenade Julien-Gracq en hommage à l’écrivain florentais qui l’empruntait journellement. Pendant l’hiver, La Loire a le sommeil léger, alors elle sort de son lit. Les premiers jours, le chemin était encore à moitié inondé, puis, de semaine en semaine, je vis le fleuve se retirer toujours plus, son débit diminuer, dévoilant des grèves de sable où se posaient régulièrement les oiseaux. La flore du coin m’était peu familière, et la faune encore moins. J’écris oiseaux, car c’est un nom générique, et parce que j’étais bien en peine de distinguer telle espèce de telle autre. J’appris néanmoins à reconnaître le cormoran à son plumage, le grèbe huppé à sa calotte, le héron cendré à la façon qu’il a de voler le cou replié en arrière. J’appris aussi à distinguer les diverses embarcations qu’on trouve sur les eaux de la Loire, de la simple barque amarrée parmi les roseaux en passant par le chaland, la gabare ou la toue cabanée. Quand j’avais marché une demi-heure, je rebroussais chemin. J’arrivais à la maison, je relevais le courrier : il n’y avait rien pour moi. Et puis un soir que je rentrais de ma promenade quotidienne, je trouvai une lettre.

François-Henri Désérable
« La lettre et la Loire » (extrait), revue Zadig, n° 13, mars 2022