
Pourquoi Les Préférences ?
Publié en 1961, Préférences est un recueil d’essais dans lequel Julien Gracq livre, avec une liberté totale, ses goûts littéraires et artistiques.
Il ne s’agit pas d’une histoire de la littérature ni d’une critique systématique, mais plutôt d’une promenade subjective, d’un livre-manifeste sur la lecture comme aventure personnelle : Gracq y partage ses inclinations, enthousiasmes et refus — ses « préférences » personnelles.
Tout livre pousse sur d’autres livres, et peut-être que le génie n’est pas autre chose qu’un apport de bactéries particulières, une chimie individuelle délicate, au moyen de laquelle un esprit neuf absorbe, transforme, et finalement restitue sous une forme inédite non pas le monde brut, mais plutôt l’énorme matière littéraire qui préexiste à lui.
Julien Gracq
Le festival Les Préférences 2025
à quoi les livres donnent-ils lieu ?
du 23 au 28 septembre 2025,
entre Angers et Nantes, Saint-Florent-le-Vieil
Quand je lis un livre, je place entre le monde et moi un angle. Il s’ouvre
et se ferme quand je veux. Il se plie, se déplace, se déploie. Je le corne,
le griffonne, le retiens par coeur, l’oublie. Parfois je décide d’y séjourner
un long moment. Et d’autres fois, je le traverse à toute allure. Il est
possible que je n’y revienne jamais. Si j’en cite quelques phrases, je dis
qu’il s’agit d’un passage.
J’entretiens avec le livre les mêmes relations qu’avec un lieu.
Mais de quoi le livre est-il le lieu ?
D’une rencontre peut-être. Dans la zone intermédiaire entre soi et
l’autre qu’une langue parcourt, explore, révèle.
En français, le mot « hôte » désigne aussi bien celle ou celui qui reçoit
que celui ou celle qui est reçue. « Toute rencontre met à l’épreuve de
l’égalité elle-même », écrit Marie-José Mondzain dans K comme Kolonie,
avant de poursuivre : « L’écriture fictionnelle construit la possibilité de
cette zone (…) où l’on cesse d’occuper sa propre place et de coïncider
avec soi-même. Etre étranger à soi-même est la voie qui conduit à tout
autre. »
Il y a ainsi des livres d’hospitalité, qui donnent lieu à l’autre. À quelques
mots que les discours essaient de confisquer. À des émotions et des
pensées qui ne trouvent pas de place dans la parole. À des temps
anciens, et à d’autres non encore advenus. Au manque, à l’absence, à
l’inouï.
La tentation est grande, en écrivant, de bâtir un monde à la fois plus
secret et plus accueillant. Mais pour en voir quoi ? Et pour y vivre
comment, cette fois ? Comment défaire les regards et les mots de toute
emprise ?
Les auteurices que nous convions cette année sont attentif.ves à ces
transformations qui ont lieu avec l’écriture, et aux hégémonies qui les
empêchent. Iels accueillent sans figer, font monde sans faire empire.
Iels écrivent des romans, des pièces de théâtre, des essais, des poèmes :
c’est égal. Leurs livres sont d’abord des lieux où la langue travaille à
s’émanciper de son usage, des mondes envoûtés mais lisibles à défaut
d’être libérés, des utopies, des lieux excentriques, excentrés,
périphériques, délirants, magiques, enchantés.
Leurs livres échappent aux plans, aux destinations. Ils n’indiquent pas
de direction. Ils sont biscornus, anguleux. Il y a mille façons de s’y
trouver.
Antoine Mouton
Directeur artistique du festival Les Préférences 2025





