Parmi les écrivains français du 20e siècle, Julien Gracq a, parmi d’autres distinctions, celle d’avoir fait référence à une image, celle de la carte. « Objet magique, qui permet en quelques décimètres carrés, de voir, de posséder un pays… ». Un géographe ordinaire, féru de représentation cartographique, reconnaissant sa familiarité avec ces images, soulignerait ses qualités positives : la précision des positions des distances et des altitudes, l’exhaustivité de la toponymie.
Mais il aurait garde de mentionner les vertus magiques de ce document exemplaire. Or Julien Gracq n’est pas seulement Louis Poirier… Il retourne en quelque sorte la carte et il tire cette image du côté de la rêverie, et charge ces symboles codifiés de propriétés poétiques.
L’œuvre de Gracq est accueillante vis à vis du monde, attentive à la face de la terre habitable et habitée. Ce goût, cette préférence s’entretiennent par la fréquentation des paysages et la consultation de ce médium imagé, la carte.
Cette chambre, ni noire ni forte, est une invitation à reconnaître que sa littérature ouvre sur le proche et sur l’ailleurs, la France de l’ouest, la France tout entière et, au-delà, le vaste monde…
Comme Aldo, l’envoyé du Rivage des Syrtes, le visiteur peut se placer « debout penché sur la table, les deux mains appuyées sur la carte (…) Un bruissement léger semblait s’élever de cette carte, peupler la chambre close et son silence d’embuscade », il est déjà embarqué et appareille en pensée vers cet outre-mer fascinant, le Farghestan.
Jean-Louis Tissier, géographe et professeur émérite.